J’ai failli signer cette newsletter Renouille la Grenouille.
Substack oblige en effet à saisir un nom de profil en plus d’un titre de publication. J’ai hésité à doublonner « Chaussettes de soirée » ou à m’inventer un pseudo.
Je n’ai pas réussi, et j’ai enfilé les confortables mi-bas de mon identité numérique, qui se trouvent correspondre à mon identité administrative. Enfin, je ne les ai pas remontées jusqu’à la cheville puisque j’ai seulement indiqué mon prénom. Disons qu’il s’agit de socquettes.

Nom, doux nom
Mark Zuckerberg serait fier de moi. Le fondateur de Facebook (rappelons tout de même qu’il a largement piqué l’idée de camarades d’université) pense qu’user d’une identité différente en ligne trahit un « manque d’intégrité ». Être inscrit sous pseudonyme sur Facebook contrevient donc aux règles d’utilisation de la plateforme. Et tant pis si on peut avoir des raisons valables de ne pas vouloir afficher le nom qui figure sur sa pièce d’identité.
J’ai pourtant bien un pseudo, créé au collège pour mon Skylog (RIP), qui est encore le mien sur YouTube et Discord. Et non, je ne le révélerai pas.
Mais il semblerait que quand j’écris, j’ai envie qu’on sache qu’il s’agit de moi. Manque d’imagination narrative ? Attachement excessif à l’histoire familiale ? Narcissisme ? Envie que les maitres de stages qui n’ont jamais signé ma convention en 2013 soient témoins de ma gloire (elles se souviennent certainement de mon nom, même si j’ai oublié le leur) ?
Avoir un nom de plume pour ne pas se faire déplumer
Les avantages d’avoir plusieurs identités sont pourtant nombreux. On peut mener des actions de désobéissance civile sans vouloir qu’elles soient connues au bureau (ou par l’État). On peut préférer préserver sa vie privée au cas où on deviendrait célèbre. Dans son interview pour Bookmakers, Alain Damasio se dit très satisfait que le contrôleur du train ne réagisse pas à son nom - qui est loin d’être un secret. Il s’appelle Alain Raymond. Voilà.
On peut aussi jeter l’identité quand elle ne nous convient plus. C’est ce qu’a fait l’autrice américaine Marie Calloway, après quelques années à publier des textes intimes et littéraires sur son blog. Résultat : elle mène sans doute une vie tranquille à l’abri des haters qui la poursuivaient à l’époque (mais pas de ma légère obsession pour son histoire).
Le pseudonymat semble par ailleurs de retour sur des réseaux comme Instagram, où les ados créent de faux profils (les finsta) à destination de leurs parents, ou même dans certains cercles professionnels.

Nous sommes une multitude
Même sous un seul nom, il est évident que notre identité n’est pas figée. Je ne suis pas la même personne en famille, au bureau, ou avec mes amis. Mais on reste persuadé·es que nous, on sait qui l’on est.
But do we?
Sans faire de cours magistral sur l’inconscient, la plupart de nos décisions nous échappent. Dans son ouvrage Subliminal: How Your Unconscious Mind Rules Your Behavior (non traduit en Français, je l’ai lu en Grec chez les excellentes éditions de l’Université de Crète - les PUC !), Leonard Mlodinow présente moult expériences « quotidiennes » à ce sujet.
Un cas extrême (non cité dans le livre) est celui d’Hannah Upp, une jeune professeur qui disparut pour la première fois en 2008 pendant plusieurs semaines à New York. Captée par les caméras de l’Apple Store, repérée dans un Starbucks, elle refit (littéralement) surface flottant à côté du phare de Robbins Reef, au sud de la Statue de la Liberté.
Hannah Upp ne gardait aucun souvenir de ses vingt jours « d’absence », et elle est décrite par ses ami·es comme « solaire ». Elle a cependant été diagnostiquée de « fugue dissociative », un phénomène rare qui conduit à la perte de la mémoire autobiographique pendant des périodes pouvant aller jusqu’à plusieurs années.
Après deux autres « fugues » plus courtes, Hannah Upp a disparu en 2017, alors que l’ouragan Irma atteignait l’île de St Thomas où elle enseignait.
Dans un long (et passionnant) profil que lui a dédié le New Yorker, on peut lire cette analyse de Etzel Cardeña, professeur de psychologie à l’université de Lund (Suède).
Dans notre culture, nous avons ce sympathique récit que la personnalité est stable. C'est une fiction. Lorsqu'une personne entre en fugue et devient quelqu'un d'autre - ou n'est pas là - c'est une version exagérée de nous tous.

Jouer avec qui on est
L’histoire d’Hannah Upp est tragique, et il est tristement ironique d’apprendre qu’elle a envisagé changer de nom pour ne pas être reconnue après la médiatisation de sa première disparition, mais ne l’a pas fait pour ne pas « fuir qui elle était » selon une amie.
Mais depuis que je suis tombée sur l’article précité, je n’ai jamais pu me la sortir de la tête. Évidemment, la perspective de s’évaporer de l’intérieur est effrayante.
Stop à la noirceur. L’identité peut aussi être un terrain de jeu, un espace que l’on décide d’habiter de plein de façons différentes, consciemment ou pas.
J’ai finalement choisi de signer cette newsletter par mon prénom. Si on ne le connait pas déjà, il n’y a pas besoin d’être un fin limier numérique pour découvrir mon nom de famille. Il est parfois présent dans les articles que je partage, et même pas vraiment caché dans le pied de page du mail. Se déguiser avec une chemise, ya que ça de vrai.
Pourtant, me présenter sous mon seul prénom me rend plus… libre. Comme si j’étais à nouveau une enfant à la cour de récré, avant que les profs ne fassent l’appel des minis Madame/Monsieur.
Aller, je vous donne quand même le nom choisi pour ma première adresse mail, au moment justement du passage de l’enfance à l’adolescence : reneepoehere. Lisa, ma meilleure amie, rentrait de vacances chez ses cousins à Tahiti avec plein de mots magiques dans ses sacoches, et avait choisi lisapoeiti.
Cette messagerie est toujours active, et même si je ne m’en sers que pour de rares achats en ligne, elle contient une partie de mon histoire.
Comme nos noms, donnés ou choisis.
Excellent point de vue et qui me donne matière à réfléchir. Merci 🙏
Aurais-je endossé ma véritable identité sur Insta il y’a quelques jours si j’avais lu ton mail avant ? Rien de moins sur ! Il y’a souvent une part de liberté et de poésie dans les identités que l’on s’invente (trolls mis à part !)
J’avais fait le choix de la transparence sur Substack dès le début mais c’est toujours étrange qu’on m’interpelle ou me cite par mon nom entier (vs mon prénom). Je me demande s’il faut aussi y voir là une part de syndrome de l’imposteur ou de timidité