J’ai commencé la rédaction de cette newsletter au moment où tombaient les résultats des élections présidentielles étasuniennes. Je n’avais pas prêté une attention particulière à la campagne, et je pensais que Kamala Harris l’emporterait. De justesse, à la limite.

Cachez-moi ce monde que je ne saurais voir
Depuis l’annonce de la dissolution de l’Assemblée nationale par Emmanuel Macron l’été dernier, je ne suis plus l’actualité. J’avais l’habitude de commencer ma journée en écoutant la matinale de France Inter ou France Culture, mais je me suis rendu compte que j’étais énervée avant même d’avoir fini ma tasse de thé.
Pour utiliser des termes techniques : le niveau de dingueries était juste trop élevé, et ça ne s’est pas arrangé.
Ah, monde de merde.
Je ne vais pas faire de récap des derniers mois car, oh surprise, les nouvelles s’imposent à nous. Au lieu d’être informée de bombardements ou d’inondations meurtrières par des notifications du Monde, je le suis par des discussions ou des messages d’ami·es. Ça permet au moins d’en parler tout de suite et de ne pas être solo face à sa sidération.
Et maintenant, on fait quoi ?
Le problème, pour moi, ce ne sont pas les mauvaises nouvelles. Après tout, les journaux en ont toujours été truffés, à tel point qu’on peut se demander « si une bonne nouvelle est une nouvelle » comme le rappelle une journaliste ayant participé au lancement d’une journée « de las buenas noticias » sur un site web au Brésil. Par un excellent move du karma, cette journée avait été fixée au… 11 septembre 2001.
Non, je pense que ce qui m’atteint le plus dans cette avalanche de catastrophes, c’est le sentiment d’impuissance. Parce qu’elles sont toutes liées à des actions humaines, pas à un astéroïde qui tomberait sur la Terre au débotté ou à la faute à pas de chance. Et qu’évidemment, ce n’est pas avec mes petits bras que je vais convaincre des membres de QAnon de ne pas voter pour Donald Trump (d’ailleurs stratégiquement, c’est sans doute mieux de parler aux indécis·es ?) ou pousser les gouvernements à sortir de l’inaction climatique.
Une solution en 4 étapes
Voilà, cet article devient un post Linkedin inspirationel ! Je sais quoi faire, merci de liker et commenter.
Toutafé.
Non (bis, comment ne pas être d’humeur à la négation face à ce qu’il se passe), mais je vais quand même tenter de mettre en forme quelques idées. Si vous en avez d’autres, je suis plus que preneuse.
1. Prendre soin de soi
Le self care a été un outil puissant de dépolitisation : fais du yoga, détends-toi, la solution viendra d’abord de toi puis rayonnera mystérieusement sur le reste du monde. Mais la penseuse afro-américaine Audre Lorde (que j’ai beaucoup vue citée mais jamais lue, il faut que je corrige cela), met l’accent depuis les années 1980 sur la dimension politique du soin que l’on porte à soi dans une société qui ne prend plus soin de nous (et encore moins si on est une personne racisée).
Caring for myself is not self-indulgence, it is self-preservation, and that is an act of political warfare.
Audre Lorde, A Burst of Light (1988)
Perso, j’aime beaucoup le yoga, et mes séances avec Adriene (<3) me font toujours du bien. Mais je ne considère pas qu’il s’agit d’une activité révolutionnaire, surtout quand on s’intéresse à l’histoire de cette pratique sous l’angle décolonial. Si le sujet vous intéresse, je vous invite à lire Le Yoga, nouvel esprit du capitalisme de Zineb Farsi (bien résumé dans cet entretien avec Clothide Sauvages) et Yoga, une histoire-monde de Marie Kock.
2. Parler, parler, parler
La solitude tue plus que la clope.
Ce n’est pas une vanne, c’est le Surgeon General (administrateur de la santé publique) des États-Unis qui le dit. Enfin, plus précisément, il compare la mortalité induite par la solitude au fait de fumer 15 cigarettes par jour.
« Une des premières études épidémiologiques longitudinales à grande échelle menées en 1979 a montré que les personnes qui manquaient de liens sociaux étaient deux fois plus susceptibles de mourir au cours de la période de suivi que celles qui avaient des liens sociaux plus étroits, même après avoir pris en compte l'âge, l'état de santé, le statut socio-économique et les pratiques de santé »
Des résultats prolongés par des nombreuses études depuis.
Donc ne pas être isolé·e, ça sauve la vie. Littéralement. Et les connexions sociales ne se limitent pas aux ami·es : quand avez-vous parlé à un·e inconnu·e pour la dernière fois ? Discuté avec un·e commerçant·e ?
On critique beaucoup Internet et les téléphones, qui étaient sensés permettre de Connecting People (les jeunes n’auront pas la réf, et la grammaire de cette phrase est atroce). C’est toujours mieux de se voir chez soi, ou dans un café. Mais parfois, quand les mauvaises nouvelles tombent et qu’on est loin, rien qu’un « On est ensemble dans cette dép <3 » aide.
3. S’engager comme on peut
On a fait notre stretching, pleuré avec nos proches, et on n’a pas oublié de s’hydrater. Maintenant, il faut agir.
Mais agir, ce n’est pas forcément tout lâcher pour rejoindre une ZAD. Si vous pouvez le faire, c’est super. Mais ce n’est pas pour tout le monde, comme le découvre la journaliste Karine Le Loët dans son podcast L'effondrement et moi.
On peut commencer petit, en s’engageant dans une association de son quartier. J’ai été membre de la Croix Rouge pendant quelques années. Je ne peux plus y participer en ce moment, et ça me manque. On faisait des choses qui pouvaient sembler dérisoires (offrir un café à une personne qui passe la nuit dehors dans le froid ne va pas l’en sortir, appeler un·e senior qui vit seul·e ne remplace pas sa famille) mais concrètes. On faisait des choses, ensemble.
On peut soutenir financièrement celles et ceux qui s’engagent pour un monde meilleur. C’est plus abstrait, et on n’a sans doute pas les moyens d’Elon Musk (enfin, si c’est le cas d’un·e de mes lecteur·ices faites moi signe, j’ai des idées) mais c’est important aussi.
Dernièrement, j’ai donné à Street Press pour sa lutte contre l’extrême droite et à Action Justice Climat (tout est dans le nom de l’orga) mais à vous de voir les associations qui vous parlent, ce ne sont pas les sujets qui manquent.
Et si vous préférez bouquiner, vous pouvez aussi faire un tour sur le lancement de Climax Fanzine.
4. Tout brûler
Peut-on aller bien dans un monde qui va mal ?
La réponse est sans doute non.
Au micro de Maud de Carpentier, pour le podcast Qui croit encore pouvoir changer le monde ?, la psychologue Nadine Bailly nous dit :
« Il me semble que dans le monde actuel, quelqu’un qui est en colère et révolté, ou affecté par ce qu’il qu’il se passe, c’est quelqu’un qui a un bon rapport à la réalité et une certaine forme de lucidité. »
Donc c’est OK de se sentir en colère. Fâchée·e. Triste. Désespéré·e. Furieux·se.
Ça peut être un carburant pour l’action.
Comme la joie. Mais elle est plus difficile à dénicher, alors détendez vos oreilles avec le dernier épisode d’un Podcast à soi de Charlotte Bienaimé (oui j’écoute beaucoup de podcasts)
À un moment, la joie militante reviendra.
Purée j’ai toujours pas de conclusion
Mais rien que vous écrire cette lettre m’a fait du bien.
Alors cœur sur vous.
Et on voit comment on fait pour continuer.
Plusieurs choses :
- de plus en plus convaincue qu’on est abreuvé de beaucoup plus d’infos qu’on ne peut en absorber
- il faut lire Audre Lorde, je tarde trop aussi à le faire
- 🫶 Adriene
- un très bon épisode de Vivre heureux avant la fin du monde au sujet du yoga
- je ne sais pas si le lien marchera mais remettons la conversation à l’honneur https://podcasts.apple.com/fr/podcast/la-conversation-scientifique/id916500028?i=1000668738386
- Tu es pleine didees et de curiosité pour quelqu’un en PLS 💪
Merci beaucoup Renée, tout ça résonne beaucoup ! (Et tu me fais rire 😂). Plein de bonnes refs , je viens de télécharger le dernier épisode d’un Podcast à soi. Longue vie à ta newsletter !